Jardin Intérieur
Le jardin intérieur

En amont, vers la source, comme des pierres blanches qui jalonneraient le parcours entre le désir d'ouvre et l'ouvre, Sylvie de Meurville voyage, photographie, dessine, note un trait d'ombre, une matière, une couleur. Les photographies prises lors de ses voyages sont des photo-souvenirs, des photo-mémoires d'événements de la matière : volcans, failles, déserts, sols asséchés, ruines, temps suspendu à Pompéi. Elles sont présentes dans l'atelier du sculpteur comme une écriture lumineuse de la mémoire -la mémoire qui serait peut-être la seule matière du temps. La tradition voit osciller la sculpture entre l'anthropomorphisme et l'architectonique - entre le corps et sa demeure. Sylvie de Meurville emprunte un autre chemin, elle sculpte le temps. Ses sculptures sont des instants de la mémoire arrêtés dans la matière. Elle sait néanmoins que la matière a son temps propre qui nous échappe, que le temps de l'élaboration a pour fin l'instant de mémoire qui perdure. Ainsi sa démarche est très proche de celle du jardinier qui en travaillant le sol, semant, taillant, ordonnant le minéral et le végétal tente avec respect de maîtriser le temps pour façonner des espaces, des lieux où la mémoire des origines désire s'ancrer -jardins de l'Alhambra à Grenade, jardins clos de monastères ou jardins anglais ... Comme le jardinier, Sylvie de Meurville écrit le temps. Le temps qui est source et borne de la vie, justification de la conscience de l'art. Sylvie de Meurville dit: "la sculpture est un acte, pas un état d'être"; l'acte s'inscrit dans le temps et c'est en agissant sur des lignes déployées dans l'espace, sur les matières et leurs surfaces qu'elle donne un sens et une énergie aux formes. Elle ajoute: "dans toute forme, il y a toujours quelque chose de la vie qui est sauvé de la mort". On retrouve ce désir de sauvegarde, de mémoire d'une origine paradisiaque qui aurait raison de la mort, de l'absurdité du temps qui passe. Ce n'est pas par hasard que Sylvie de Meurville intitule son installation créée pour la manifestation" l'Art du Temps dans les jardins de la Ville" à Evreux en 1996, "jardin intérieur". Les pièces qui la composent s'appellent : petite germination, pierre, fraction végétale, poussée verticale, rampante ... Bien que construites en béton, résine, fer tordu, matériaux inertes proches de la lave, des scories, elles sourdent du sol et le sol lui-même devient germination, le minéral se transmue en végétal et le temps suspendu de la sculpture est la transfiguration du temps qui passe, du temps de l'homme et de la nature.

Maurice Maillard in plaquette "Le jardin intérieur" , "L'art du temps dans les jardins de la ville", Evreux, 1996.

Maurice Maillard est graveur et directeur de la Maison des Arts d'Evreux.

 
Sylvie de Meurville

Bibliographie